Arrivé à l'âge où l'homme réfléchi doit songer à sa succession, Suarez appela ses fils Alonso et Lopez, pour tester leurs capacités à le remplacer, et leur tint ce langage :
" Mes enfants ! J'ai l'intention de verser à chacun de vous une somme de 100000 réaux pour une période de 10 ans sur un compte qui vous rapportera chaque année 20% d'intérêts. Ces intérêts, vous pourrez les ajouter sur ce compte à votre capital, ou vous en servir comme bon vous semblera, au titre de revenus. Votre but consiste à générer le versement annuel de ces intérêts de manière à gérer pour vous sur 10 ans, les revenus les plus élevés possibles. Mais n'oubliez pas : votre capital n'est pas récupérable. Au bout de 10 ans, tout ce qui se trouvera sur le compte sera perdu."
Le fils ainé, Alonso, célèbre pour son insouciance et sa prodigalité, répondit en premier : "Père ! Je dépenserai chaque année tous mes intérêts tout de suite, car il n'y a aucun avantage à augmenter un capital qui ne m'appartient pas !"
Lopez, au contraire, était un jeune homme économe est vertueux. "Pendant 9 ans", dit-il, "j'ajouterai chaque année au capital, sur le compte rémunéré. A la fin de la dixième année, je récupèrerai pour moi les 20% d'intérêts produits au cours de cette année-là par la somme ainsi capitalisée. Je pense que cela fera un beau revenu, puisque le capital aura beaucoup augmenté du fait de mes apports successifs."
En entendant les réponses de ses fils, le visage du père s'assombrit. Il était clair pour lui que ses fils n'étaient décidément pas prêts, et quand ils lui demandèrent son avis, il leur répondit :"Tout dépenser est aussi stupide que tout économiser, et la réponse exacte est entre ces deux attitudes extrêùes ! Je déciderais pour ma part d'augmenter chaque année le capital de la moitié des intérêts qu'il produit, l'autre moitié faisant pour moi office de revenus ! Hélas, comme je le craignais , vous n'êtes pas assez sages, et n'êtes pas capables encore de me remplacer aux affaires."
Examinons le résultats de chacune des trois solutions proposées : les revenus cumulés, sur 10 ans, produits par les stratégies du père (S), du fils Alonso (A), et du fils Lopez (L) se calculent facilement. On trouve : A = 200000 réaux, S = 103196 réaux, L = 182953 réaux.
Le fils économe et vertueux, Lopez, a donc proposé la solution la plus mauvaise. Pire, au rebours de ce à qui on s'attendait, Alonso, malgré son inexpérience et sa proverbiale impécuniosité, a trouvé une solution meilleure que celle de son père, homme avisé, plein de bon sens et d'expérience, pourtant !
De tels problèmes de gestion, où le capital n'est pas récupèrable, est courant : penser à celui investi dans une entreprise, ou dans sa propre vie.
Soit $x_k$ le capital disponible en début de la k+1ième année sur le compte rémunéré (k=0..N, N=10, et $x_0 = 100000$).
Au début de la k+2ième année, le capital est devenu
$x_{k+1} = x_k + \lambda_{k+1} a x_k$
où a=20%, et $\lambda_{k+1} \in [0,1]$ représente la part des intérêts générés au cours de l'année k qui est ajoutée au capital.
Ce revenu disponible au titre de l'année k+1 est donc
$(1-\lambda_{k+1}) a x_k $
Sur les N années, ce revenu est donc :
$ J(\lambda_1, ..., \lambda_N) = \sum_{k=0}^{N-1} (1-\lambda_{k+1}) a x_k$
Le vecteur $\lambda = (\lambda_1, ..., \lambda_N)$ définit la politique de gestion suivie. Il s'agit alors de choisir la meilleure de ces politiques, c'est-à-dire celle maximisant J.
Observons d'abord pour cela que :
Proposition 1 Soit $\lambda = (\lambda_1,...,\lambda_N)$ une certaine politique. Si i est tel que $\lambda_i < \lambda_{i+1}$, notons $\lambda^i$ la politique obtenue à partir de $\lambda$ en intervertissant $\lambda_i$ et $\lambda_{i+1}$. Alors $J(\lambda^i)>J(\lambda)$.
En effet, les seuls termes de $J(\lambda)$ que cette modification affecte sont $(1-\lambda_i) a x_{i-1}$ et $(1-\lambda_{i+1}) a x_i$. Or la somme de ces deux termes vaut :
$ a x_{i-1} (2-\lambda_i-\lambda_{i+1}-a \lambda_i \lambda_{i+1} + a \lambda_i$
Cette somme devant être la plus grande possible, on ne peut jouer que sur le dernier terme de l'expression ci-dessus.
Proposition 2 Soit $\lambda$ une certaine politique. Alors, pour tout $n \in {1,...,N+1}$, il existe une politique $\lambda^(n) = (\lambda_1^(n),...,\lambda_N^(n)$ telle que :
Montrons cette proposition par récurrence sur n. Pour n=1, c'est évident : il suffit de prendre <math\lambda^(1) = \lambda$.
Supposons maintenant qu'une telle politique existe pour un certain $N \geqslant n \geqslant 1$. Considérons, pour tout $t \in [0,1]$, la fonction
$g(t) = J(\lambda_1^(n),..., \lambda_{n-1}^(n), t,\lambda_{n+1}^(n),..., \lambda_{N}^(n))$
est clair que g est une fonction affine de t, soit $ g(t) = \alpha t + \beta $.
Cette fonctoin admet donc, sur [0,1], un maximum, soit en 0 si $\alpha < 0$, soit en 1 si $\alpha >0 $. Définissons maintenant $\lambda^(n+1)$ par
Pour tout i<n+1, on a donc, par construction de $\lambda^(n+1) $ et hypothèse de récurrence : $\lambda_i^(n+1) = 0$ ou 1, et
$J(\lambda^(n+1)) \geqslant J(\lambda^(n)) \geqslant J(\lambda)$
ce qui démontre la proposition.
Désormais, nous appellerons politique en escalier toute politique $\theta$ telle que, pour un certain indice $1 \leqslant m \leqslant N+1$ on ait : $\theta_i = 1$ pour $i<m$, et $\theta_i = 0$ pour $i \geqslant m$.
Pour un m précisé, une telle politique s'appellera "politique en escalier de longueur m" et sera noté $\theta^m$.
Il existe, bien sûr, N+1 telles politiques. Soit $\lambda$ une politique quelconque. D'après ce que l'on a vu, il existe une politique $\mu$, au moins aussi bonne que $\lambda$, et telle que pour tout i on ait $\mu_i \in {0,1}$.
De plus, si parmi les nombres $\mu_1, \mu_2, ..., \mu_{N-1}$ figure le nombre 0, alors il est avantageux de le faire changer de place et de le positionner à un rang supérieur.
Par conséquent, l'ensemble des politiques optimales contient une politique en escalier.
Notons $\check{\theta}$ cette politique, et notons m l'entier tel que $\check{\theta}_i = 1$ pour $i<m$, et $\check{\theta}_i = 1$ pour $i \geqslant m$.
On a alors :
$J(\check{\theta}) = (N-m) a (1+a)^m x_0$
Notons $s_m$ le second membre. Le rapport $r_m = \frac{s_{m+1}}{s_m} = (1+a)\left(1-\frac{1}{N-m}\right)$ décroît quand m augmente, mais tant que ce rapport reste supérieur à 1, $s_m$ augmente avec m.
Notons alors $m_0$ le plus petit entier supérieur ou égal à $max{N-1-\frac{1}{a}, 0}$. On a alors :
$r_0>r_1>...>r_{m_0-1}>1\geqslant r_{m_0}>...>r_N$
Il en résulte que $J(\theta^0) < ... < J(\theta^{m_0})$ et que $J(\theta^{m_0})\geqslant J(\theta^{m_0+1})>...>J(\theta^N)$.
La politique $\theta^{m_0}$ est donc optimale, et l'on a résolu le problème.
Dans le cas exposé précédemment, N=10, a=1/5, de sorte que $m_0=4$. La politique optimale est donc $\theta^4 = (1,1,1,1,0,0,0,0,0,0)$, et le revenu généré sur les 10 années par cette politique est égal à 248832 réaux.